Dante et Goethe dialogues par Daniel Stern (Google Books)

Vous avez raison; pour ma part, je tâcherai de ne plus interrompre.

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Vous avez vu que la tragédie de Gœthe repose, comme la Comédie de Dante, sur la donnée première des communications surnaturelles entre le monde terrestre et le monde céleste. Dès le prologue de Faust, le poëte germanique frappe l’accord qui nous ouvre les régions merveilleuses de la mythologie chrétienne. Nous sommes en pleine légende. La scène se passe dans le ciel. Les personnages sont Dieu le Père, les trois archanges, un suppôt de Satan, le démon Méphistophélès. Celui-ci, qui parait en assez bons termes avec le Seigneur, vient de temps en temps causer avec lui et l’entretenir de ce qui se passe sur la terre. Cette fois le bon Dieu lui demande des nouvelles du docteur Faust, qu’il appelle son serviteur et qu’il qualifie d’homme juste. Méphistophélès, impatienté de ces louanges données à une espèce de fou, à un métaphysicien tout absorbé à la recherche de l’infini et qui ne sait rien de la vie réelle, veut gager avec le Seigneur qu’il ne lui sera pas difficile de tenter cet esprit malade et de l’entraîner hors de la droite voie. Le Seigneur, en souriant, accepte la gageure, bien certain qu’il est de ne

pas la perdre, l’homme dans ses obscurs instincts ayant toujours, dit-il, conscience du droit chemin.

MARCEL.

A la bonne heure ! Voici un bon Dieu qui parle fort bien. Il est de l’avis de la demoiselle de Gournay, cette aimable fille de notre grand Montaigne, laquelle écrit quelque part : « L’homme naît à la suffisance et à la bonté tout ainsi que le cerf naît à la course. »

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Après quelques paroles courtoises, échangées entre le bon Dieu et le démon, Méphistophélès quitte le ciel, et l’action terrestre commence. |

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C’est la vieille histoire de Job. Mais qu’est-ce au juste que ce démon qui n’est pas Satan en personne, et d’où vient ce nom de Méphistophélès ?

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Le nom de Méphistophélès, donné par Gœthe à son démon, n’est qu’une variante du Méphistophel, Méphostophiles ou Méphistophilus qui figurent dans la légende, du Méphistophlès des marionnettes et du Méphostophilis de Marlowe. Les commentateurs ne s’accordent pas entièrement sur sa signification. On le suppose provenant d’une mauvaise étymologie grecque, et voulant dire ou bien celui qui n’aime pas la lumière ou bien celui qui aime Méphitis, la divinité qui préside aux miasmes. Quant au caractère moral de Méphistophélès, il est tout simplement, dans les livres populaires, le tentateur des Écritures, qui promet à nos premiers parents de les rendre semblables à Dieu, et qui offre à Jésus la domination sur tous les royaumes de la terre. Gœthe, en transformant la légende du xvI° siècle selon le génie du xIx°, fait de son démon une incarnation du doute et de l’ironie inhérents à l’esprit humain. Son Méphistophélès est le Satan moderne, le Satan de bonne compagnie, commê l’a si bien dit Lamartine, le galant cavalier qui porte l’épée au côté, la plume au chapeau, le manteau court sur l’épaule, qui se fait appeler M. le baron et sait par cœur son Voltaire. C’est à peine si, au sabbat, les sorcières le reconnaîtront, tant il sent peu son enfer, si lestement il a dépouillé les attributs du vieux diable. Un des interprètes les plus profonds de Faust, le biographe de Hegel, Karl Rosenkranz, incline à croire que Gœthe, en créant ce diable contemporain, a voulu en quelque sorte dédoubler son héros, et que Méphistophélès, à la façon des sorcières dans Macbeth, personnifie la lutte intime des passions ambitieuses dans l’âme de Faust. Ce qui est certain, ce qui est clairement énoncé dans le prologue, c’est que, aux yeux du poéte, le mal personnifié dans Méphistophélès n’est pas le mal absolu, infernal, de la théologie chrétienne, mais le mal relatif, inséparable de la condition humaine et qui, dans l’ordre universel, est subordonné au bien.

ÉLIE.

C’est là encore, si je ne me trompe, une idée toute spinosiste. Spinosa ne dit-il pas quelque part que rien n’arrive dans l’univers qu’on puisse attribuer à un vice de la nature ?

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En effet.—Méphistophélès, c’est lui-même qui le dit, voudrait le mal, mais quoi qu’il fasse, finalement, il se trouve avoir coopéré au bien. Il est railleur des ambitions spéculatives de l’homme et de sa prétention à la vie angélique ; il est sensuel et libertin, convoiteux des plaisirs charnels; mais il n’est ni athée ni même méchant à outrance. Il a compassion des pauvres humains; il se fait quelque scrupule de les tourmenter; il se plaît dans la société du bon Dieu, qui, à son tour, le souffre et lui permet d’en agir à sa guise, afin d’exciter par la tentation et la contradiction la paresse naturelle de l’homme. Aussi Méphistophélès, tout en se flattant d’entraîner Faust à la perdition, va-t-il lui servir d’aiguillon et le pousser, de curiosité en curiosité , d’erreur en erreur, vers une vie plus | haute. Nous en sommes avertis dès le prologue.Le sourire du Seigneur nous rassure, non-seulement quant au salut de Faust, mais encore quant au châtiment du démon, le Père Éternel voulant la confusion de Méphistophélès, non sa réprobation, et n’ayant d’autre but, en acceptant la gageure, que d’amener la créature démoniaque à reconnaître la bonté native de la créature humaine. Il paraît même que, à l’origine, Gœthe avait formé le plan plus hardi de réhabiliter entièrement, de sauver Méphistophélès. Il avait pour lui un faible; il

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You are right; for my part, I will try not to interrupt.

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You have seen that the tragedy of Goethe rests, like Dante’s Comedy , on the first datum of supernatural communications between the terrestrial world and the celestial world. From the prologue of Faust,the Germanic poet strikes the chord which opens to us the marvelous regions of Christian mythology. We are in full legend. The scene is happening in the sky. The characters are God the Father, the three archangels, a henchman of Satan, the demon Mephistopheles. The latter, who appears on good terms with the Lord, comes from time to time to converse with him and tell him what is happening on earth. This time the good Lord asks him for news of Dr. Faust, whom he calls his servant and whom he calls a just man. Mephistopheles, impatient of these praises given to a kind of madman, to a metaphysician who is all absorbed in the search for the infinite and who knows nothing of real life, wants to make a wager with the Lord that it will not be difficult for him to attempt this sick mind and the drive out of the right lane. The Lord, smiling, accepts the wager, sure he is not

not to lose it, the man in his obscure instincts having always, he says, conscience of the right way.

MARCEL.

All in good time ! Here is a good God who speaks very well. He is of the opinion of the young lady of Gournay, that amiable daughter of our great Montaigne, who writes somewhere: “Man is born to sufficiency and goodness, just as deer are born in the race. ”

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After a few courteous words, exchanged between the good God and the demon, Mephistopheles leaves heaven, and earthly action begins. |

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This is Job’s old story. But what exactly is this demon who is not Satan in person, and where does this name of Mephistopheles come from?

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The name of Mephistopheles, given by Goethe to his demon, is only a variant of the Mephistophel, Mephostophiles or Mephistophilus, which appear in the legend, the Mephistophles of Marlowe’s puppets and Mephostophilis. Commentators do not fully agree on its meaning. It is supposed to come from a bad Greek etymology, meaning either the one who does not like light or the one who loves Mephitis, the deity presiding over miasmas. As for the moral character of MephistoPheles, it is simply, in the popular books, the tempter of the Scriptures, who promises our first parents to make them similar to God, and who offers to Jesus the dominion over all the kingdoms of the earth. Goethe, by transforming the legend of the sixteenth century according to the genius of the nineteenth, makes his demon an incarnation of the doubt and irony inherent in the human mind. His Mephistopheles is the modern Satan, the Satan of good company, as Lamartine so well said, the gallant horseman who carries the sword to the side, the feather in his hat, the coat on his shoulder, who calls himself Baron and knows by heart his Voltaire. Hardly, on the Sabbath, the witches will recognize him, so little does he feel his hell, so lightly he stripped the attributes of the old devil. One of the deepest interpreters ofFaust, the biographer of Hegel, Karl Rosenkranz, inclines to believe that Goethe, in creating this contemporary devil, wanted to somehow split his hero, and that Mephistopheles, like the witches in Macbeth, personifies the intimate struggle of ambitious passions in the soul of Faust. What is certain, which is clearly stated in the prologue, is that, in the eyes of the poet, evil personified in Mephistopheles is not the absolute, infernal evil of Christian theology, but the relative evil, inseparable of the human condition and which, in the universal order, is subordinated to the good.

ELIJAH.

This is again, if I am not mistaken, an idea all Spinosist. Does not Spinosa say somewhere that nothing happens in the universe that can be attributed to a vice of nature?

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Indeed-Mephistopheles, it is himself who says it, would want evil, but whatever he does, finally, he finds himself having cooperated with good. He is mocking the speculative ambitions of man and his claim to angelic life; he is sensual and libertine, covetous of carnal pleasures; but he is neither an atheist nor even an extreme villain. He has compassion on the poor humans; he has some scruple to torment them; he enjoys himself in the society of the good God, who, in his turn, suffers him and allows him to do as he pleases, in order to excite the natural laziness of man by temptation and contradiction. Mephistopheles, while flattering himself to drag Faust to perdition, will he serve as a sting and push him, from curiosity to curiosity, from error to error, to a life more | high. We are aware of it from the prologue. The smile of the Lord reassures us, not only as to the salvation of Faust, but also as to the punishment of the devil, the Eternal Father wanting the confusion of Mephistopheles, not his reprobation, and having no Another goal, in accepting the wager, is to bring the demonic creature to recognize the native goodness of the human creature. It seems that Goethe had originally formed the bolder plan to rehabilitate entirely, to save Mephistopheles. He had a weakness for him; he bring the demonic creature to recognize the native goodness of the human creature. It seems that Goethe had originally formed the bolder plan to rehabilitate entirely, to save Mephistopheles. He had a weakness for him; he bring the demonic creature to recognize the native goodness of the human creature. It seems that Goethe had originally formed the bolder plan to rehabilitate entirely, to save Mephistopheles. He had a weakness for him; he

ne lui déplaisait pas du tout qu’on le reconnût luimême dans son cher démon. Il avouait à son ami Merck, qui ne s’en offensait pas, lui avoir emprunté, pour en douer Méphistophélès, les traits les plus piquants de son esprit railleur et cette verve satirique qui tant de fois avait contenu et ramené à la raison les élans désordonnés, les enthousiasmes excessifs de notre jeune Werther. Méphistophélès, dans la conception de Gœthe, n’est donc pas un obstacle au salut, mais un agent du salut, agent dont le concours est nécessaire, quoique subalterne. C’est en ce sens qu’il n’est pas très-différent du Virgile de la Comédie.

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Le Virgile de la légende, vous vous le rappelez, s’il n’est pas précisément un démon, est du moins un sorcier, un magicien. Il n’a pas connu le vrai Dieu ; Dante le met au premier cercle de l’enfer,

Nel primo cerchio del carcere cieco.

Il fait de lui le représentant de la raison naturelle, de la sagesse antique, comme Méphistophélès est le représentant du doute, de la critique, qui sont les éléments essentiels de la sagesse moderne. Virgile, pas plus que Méphistophélès, ne saurait entrer au paradis. Il quitte Dante au seuil, non pas, il est vrai, moqué, bafoué comme le sera Méphistophélès par les anges qui lui enlèveront l’âme de Faust, mais négligé, oublié, nous l’avons vu, se reconnaissant lui-même un guide indigne, inutile du moment que l’âme du poéte s’est ouverte à la sagesse divine qui lui apparaît sous les traits de Béatrice.

ÉLIE.

Je trouve votre interprétation ingénieuse , mais j’ai besoin d’y réfléchir avant de l’adopter, car, je l’avoue, elle me surprend un peu.

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Pas plus que pour tout le reste, Élie, je ne vous demande ici d’entrer dans mon sentiment sans le contrôler. Mon désir, c’est que, en nous quittant, vous emportiez de nos entretiens l’envie de relire les deux poémes, et que, de la comparaison que je vous aurai suggérée, il naisse dans votre esprit quelques clartés nouvelles. Mais où en étais-je restée ?

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Vous ne nous avez parlé encore que du prologue de Faust.

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La scène s’ouvre, comme dans la Comédie, aux premiers jours du printemps. C’est le moment où, selon la légende, le monde a pris naissance; c’est, pour l’Église chrétienne, le temps sacré de l’incarnation et de la résurrection du Sauveur. C’est, en astrologie, l’heure où brillent les constellations propices. En Allemagne comme en Italie, la douce saison, « la dolce stagione, » se célébrait en des fêtes charmantes.

ÉLIE.

Il n’y a pas longtemps que je lisais dans une lettre de Pétrarque le récit d’une fête du printemps à laquelle il assistait à Cologne. On ne peut rien imaginer de plus poétique. Ce devait être un reste de quelque solennité païenne. De longues processions de femmes, vêtues de blanc et ceintes de guirlandes, descendaient en chantant des cantiques sur les bords du fleuve. Elles lui portaient en offrande des touffes d’herbes symboliques qui, jetées au courant des flots rapides, entraînaient avec elles tous les malheurs de l’année.

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A

Il existe encore à cette heure une coutume toute semblable au royaume de Siam. Un marin de mes amis, qui a fait partie de l’expédition en Cochinchine, m’a décrit ce que les bouddhistes appellent le Jour du pardon. Pour apaiser l’ange du fleuve, que l’on suppose irrité de la souillure de ses eaux, les talapoins et généralement tous les bons bouddhistes viennent sur le rivage réciter à haute voix de longues oraisons fluviales. Jusque très-avant dans la nuit, au son des instruments de musique, à la lueur des torches et des lanternes, on lance incessamment au flot des dons de toute sorte, exvoto, amulettes, images peintes ou sculptées, monnaies d’or et d’argent, barques et radeaux chargés de fleurs et de fruits. Il paraîtrait que c’est le spectacle le plus curieux, le plus bariolé, le plus pittoresque du monde.

DIO TIM E.

Pour nos deux.poëtes, le printemps était la saison sacrée. Ce fut dans les fêtes de mai qu’apparut pour la première fois à Dante Béatrice Portinari, en compagnie de sa jeune amie Vanna, qui fut plus tard l’amante de Guido Cavalcanti et qui avait pour surnom de beauté, persopranome di bellezza, Primavera. Quant à Gœthe, il appelait le printemps la saison lyrique, et se plaisait à y voir éclore ses créations les plus chères. Mais, non contents de commencer leur poëme à l’aube de l’année, Dante et Gœthe veulent encore qu’il s’ouvre à l’aube du jour.

Temp’era del principio del mattino,

dira l’Allighieri, en gravissant, au sortir du sommeil, la colline éclairée des premiers feux du matin. Ce sont les matines de Pâques, chantées aux lueurs crépusculaires du jour de la résurrection, qui vont arracher Faust aux appréhensions de la nuit, aux ténèbres de son propre cœur. Il est là, le vieux docteur, seul et pensif sous les sombres voûtes du laboratoire; il est là, tel que l’a vu Rembrandt, assis sur son fauteuil vermoulu, dans une atmosphère épaisse, entouré de livres poudreux, de parchemins enfumés, de crânes, de squelettes, d’appareils et d’instruments de toute sorte, gisant pêle-mêle et dans un désordre affreux. Il a passé depuis longtemps, lui, « la moitié du chemin de notre vie ; » il a perdu la droite voie, mais ce n’est pas dans la poursuite des plaisirs et des cupidités mondaines, dans les sentiers fleuris des vanités, c’est dans l’âpre recherche de cette science terrible du bien et du mal que notre premier père a payée de l’exil et de la mort. Au moment où le démon obtient la permission de le tenter, Faust n’est pas, comme Dante, endormi dans l’oubli de Dieu : il veille en proie aux tourments d’une âme ardente qui voudrait posséder Dieu à tout prix. Richesses, honneurs, plaisirs, amours, amitiés, toutes les joies périssables, Faust a tout négligé, tout dédaigné pour se vouer sans réserve à l’étude des lois éternelles, à la pénétration des causes. S’il a vieilli prématurément, s’il a pâli dans la solitude, c’est par amour pour la science, et par désir du bien de ses semblables; parce qu’il aurait voulu découvrir une vérité « capable de convertir les hommes et de les rendre meilleurs. » Philosophie, médecine, jurisprudence, théologie, magie même, toutes les sciences humaines, divines ou infernales, Faust a tout étudié, tout approfondi. Il sait tout ce qu’on peut savoir; il sait de plus « qu’on ne peut rien savoir. » Il est las de l’aridité des spéculations métaphysiques, las des formules de l’école. Il compare sa vie au vent d’automne qui souffle sur les feuilles sèches. Il sourit amèrement à la puérilité des satisfactions humaines, à l’éclat de la vaine gloire, au bruit de son nom, à la reconnaissance

He did not at all displease him that he was recognized in his dear demon himself. He confessed to his friend Merck, who did not offend him, to have borrowed from him, in order to endow Mephistopheles, with the most pungent features of his mocking spirit and that satirical verve which so many times had contained and brought back to reason the impulses disordered, the excessive excitement of our young Werther. Mephistopheles, in Goethe’s conception, is not therefore an obstacle to salvation, but an agent of salvation, an agent whose assistance is necessary, though subordinate. It is in this sense that it is not very different from the Virgil of Comedy.

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The Virgil of legend, you remember, if he is not exactly a demon, is at least a wizard, a magician. He did not know the true God; Dante puts him in the first circle of hell,

Nel primo cerchio del carcere cieco.

He makes him the representative of natural reason, of ancient wisdom, as Mephistopheles is the representative of doubt, of criticism, which are the essential elements of modern wisdom. Virgil, no more than Mephistopheles, can not enter Paradise. He leaves Dante on the threshold, not, it is true, mocked, scoffed at by Mephistopheles by the angels who will take away Faust’s soul, but neglected, forgotten, we have seen, recognizing himself as a guide unworthy, useless from the moment when the soul of the poet has opened to the divine wisdom which appears to him under the features of Beatrice.

ELIJAH.

I find your interpretation ingenious, but I need to think about it before adopting it, because, I admit it, it surprises me a little.

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No more than for all the rest, Elijah, I am not asking you here to enter my feeling without controlling it. My desire is that, on leaving us, you take away from our conversations the desire to reread the two poems, and that, from the comparison which I have suggested to you, some new light emerges in your mind. But where was I left?

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You have only spoken to us about Faust’s prologue .

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The scene opens, as in the comedy, in the first days of spring. This is the moment when, according to legend, the world is born; it is, for the Christian Church , the sacred time of the incarnation and resurrection of the Savior. This is, in astrology, the hour when the propitious constellations shine. In Germany as in Italy, the sweet season, “la dolce stagione,” was celebrated in charming festivals.

ELIJAH.

It was not long ago that I read in a letter from Petrarch the account of a spring festival which he attended at Cologne. We can not imagine anything more poetic. It must have been a remnant of some pagan solemnity. Long processions of women, dressed in white and garlanded, came down singing hymns on the banks of the river. They gave him as an offering tufts of symbolic herbs which, thrown into the swift waters, carried with them all the misfortunes of the year.

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AT

At this time there is a custom very similar to the kingdom of Siam. A sailor of my friends, who was part of the expedition to Cochin China, described to me what Buddhists call the Day of Forgiveness. To appease the angel of the river, who is supposed to be irritated by the defilement of his waters, the Talapoins and generally all good Buddhists come to the shore to recite long fluvial orations aloud. Until very early in the night, to the sound of the musical instruments, by the light of torches and lanterns, we incessantly launch to the flow of gifts of all kinds, ex.voto, amulets, painted or carved images, gold and silver coins, boats and rafts loaded with flowers and fruits. It would seem that it is the most curious, the most colorful, the most picturesque spectacle in the world.

DIO TIM E.

For our two poets, spring was the sacred season. It was during the May festivities that Dante Béatrice Portinari first appeared with her young friend Vanna, who was later the lover of Guido Cavalcanti and whose nickname was beauty, persopranome di bellezza, Primavera . As for Goethe, he called spring the lyrical season, and was pleased to see the birth of his most cherished creations. But, not content to begin their poem at the dawn of the year, Dante and Goethe still want it to open at dawn.

Temp’era del principio del mattino,

said the Allighieri, as he climbed out of sleep, the hill lit by the first fires of the morning. It is Easter mornings, sung with twilight on the day of the resurrection, which will tear Faust away from the apprehensions of the night, from the darkness of his own heart. He is there, the old doctor, alone and thoughtful under the dark vaults of the laboratory; he is there, as Rembrandt has seen, sitting on his worm-eaten armchair, in a thick atmosphere, surrounded by dusty books, smoky parchments, skulls, skeletons, devices and instruments of all sorts, lying pell-mell and in a frightful disorder. He has long since passed him, “half the path of our life; He has lost the right way, but it is not in the pursuit of worldly pleasures and greed, in the flowery paths of vanities, it is in the harsh pursuit of this terrible science of good and evil that our first father paid for exile and death. At the moment when the demon obtains permission to tempt him, Faust is not, like Dante, asleep in oblivion of God: he watches prey to the torments of an ardent soul who would like to possess God at any price. Riches, honors, pleasures, loves, friendships, all perishable joys, Faust has neglected everything, all scorned for unreserved dedication to the study of the eternal laws, to the penetration of causes. If he has aged prematurely, if he has grown pale in solitude, it is out of love for science, and out of a desire for the good of his fellows; because he would have liked to discover a truth “capable of converting men and making them better. Philosophy, medicine, jurisprudence, theology, even magic, all the human sciences, divine or infernal, Faust has studied everything, deepened everything. He knows everything you can know; he knows more that “we can not know anything. He is tired of the aridity of metaphysical speculations, tired of the formulas of the school. He compares his life to the autumn wind blowing on the dry leaves. He smiles bitterly at the puerility of human satisfactions, at the

des hommes simples qui se croient guéris par son art, tandis qu’ils ne le sont que par la nature. Le mensonge des choses d’ici-bas répugne à sa conscience austère. Les élans de sa grande âme se heurtent et se blessent incessamment aux limites de son existence terrestre. Sa patrie est ailleurs. Son esprit, fait à l’image de Dieu, voudrait entrer en commerce avec ses pareils, les esprits divins qui président à l’harmonie des mondes, et plonger avec eux au sein toujours vivant de la nature infinie. A l’aide des formules de la magie qui lui sont familières, Faust évoque les esprits invisibles; il les interroge. Leur apparition fugitive, leurs réponses énigmatiques le consternent, car il voit que, s’il a eu la puissance de les appeler, il ne saurait ni les retenir ni les comprendre. C’est alors que le désespoir s’empare de lui, et que, n’attendant plus rien de la vie, il s’adresse à la mort. D’une main hardie il saisit la coupe des aïeux : il y verse le breuvage libérateur.

L’invocation de Faust, ce chant sacerdotal d’un sacrifice dont il est à la fois le prêtre et la victime, atteint aux plus sublimes hauteurs où puissent s’élever l’âme et la poésie. Pour Faust, la mort n’a rien de lugubre. Il n’y voit ni une fin, ni un néant, ni même un sommeil dans la tombe. Les images sous lesquelles elle s’offre à lui sont toutes de mouvement. C’est la vague qui l’emportera comme Dante « dans la grande mer de l’Étre; » c’est le char de feu qui le ravira jusqu’aux sphères célestes :

Zu neuen Ufern lockt ein neuer Tag,
Ein Feuerwagen schwebt, auf leichten Schwingen,
An mich heran !

Le suicide de Faust a plus de grandeur encore que le suicide de Caton ; car, en rejetant la vie, Faust ne proteste pas seulement, comme le vertueux Latin, contre l’esclavage politique dans la prison romaine : il proteste, vaincu dans le combat avec Dieu, contre l’esclavage de l’humanité dans sa prison terrestre.

Et pourtant, combien il faut peu de chose pour que Faust renaisse à l’espérance et pour que la coupe fatale échappe à sa main !

Un souvenir, le son lointain d’une cloche, un chant d’église, lui rappellent la fête de Pâques, où jadis son enfance heureuse célébrait, avec le retour du printemps, la résurrection du Sauveur des hommes. Il s’attendrit en songeant aux consolations apportées à la terre par le miséricordieux crucifié. Toute l’austérité de sa pensée s’amollit. Un souffle de tendresse dissipe les noires vapeurs amassées dans son cerveau par la science solitaire. Tout à l’heure, il va se faire simple avec les simples, enfant avec les enfants. Suivi de son disciple Wagner, il va se mêler à la foule des promeneurs, dont les gais propos, les rires, les chansons célèbrent à leur manière la fête chrétienne. Mais le spectacle de la vie extérieure ne saurait longtemps captiver l’âme de Faust. Lassé bientôt de ces joies bruyantes, il s’assied à l’écart; il contemple les magnificences du soleil couchant; son inquiétude renaît, sa soif de la lumière éternelle. Il voudrait suivre les rayons de l’astre qui va quitter notre hémisphère. Il envie à l’aigle son aile, à l’alouette son chant, à la grue qui traverse les airs la puissance de l’instinct qui la guide. Il appelle à son aide les génies qui planent invisibles entre la terre et le ciel, il les adjure de l’emporter avec eux dans l’espace. C’est alors qu’apparaît Méphistophélès. Sous la figure d’un chien, il s’attache aux pas de Faust; il le suit à son retour dans la ville; il entre avec lui dans le laboratoire. La nuit est venue. — Cette longue exposition terminée, qui dans la Comédie n’occupe que la moitié d’un chant, l’action proprement dite, la tentation va COIllIIlOIlCGI”. Je suppose, ma chère Viviane, que vous n’avez pas eu de peine jusqu’ici à reconnaître, sous les traits de Faust, Wolfgang Gœthe, à cette première période de sa jeunesse où nous l’avons vu, profondément troublé par l’incertitude et la discordance des choses de la vie, se jeter tout éperdu à l’enthousiasme de la mort.

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La fiction est transparente, et Dante n’est pas plus Dante, ce me semble, que Faust n’est Gœthe.

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Un coup d’œil sur la relation qui se noue entre Faust et Méphistophélès nous rendra plus sensible encore cette identité. Bien loin que le suicide de Faust et sa tentation nous soient donnés par Gœthe comme un signe de déchéance, il les entoure d’une solennité religieuse. C’est au moment où l’âme de Faust vient de s’exalter dans la contemplation d’un grand spectacle de la nature, c’est lorsque, absorbé dans une profonde méditation, ému, attendri, il cherche d’un cœur droit « mit redlichem Gefühl, » pour le mettre à la portée de tous, le sens véritable des Évangiles, c’est à l’heure du recueillement et d’un pieux travail que Méphistophélès, quittant son apparence de chien, se présente au grave docteur. De même, lorsque Faust consent à se laisser arracher par le démon à ses rêveries solitaires, pour se jeter avec lui au train du monde, lorsqu’il va signer le pacte et qu’il en dicte fièrement les conditions, il se montre de tout point supérieur à celui qu’il appelle avec dédain « un pauvre diable, » et la pensée intime du poëte devient manifeste. Faust n’admet pas un instant que l’esprit de l’homme puisse être compris de Méphistophélès et de ses pareils. « Si tu peux m’abuser par les flatteries, lui dit-il, de telle sorte que je me plaise à moi-même, si tu peux me séduire par la jouissance, si jamais je goûte le repos dans le plaisir, que ce soit là mon heure dernière et que mon âme soit ta proie! » Mais que veut-il donc, qu’attend-t-il du démon, ce dédaigneux Faust? Lui-même il va nous le dire; il y va insister de peur qu’on ne s’y méprenne. « Tu m’entends bien, dit-il à Méphistophélès, il n’est pas question de plaisir. Mon esprit, guéri du désir de savoir, veut vivre désormais de la vie active, et telle qu’elle est faite à l’humanité tout entière. Je veux étreindre tout ce que la destinée humaine enferme de bien et de mal; toutes ses douleurs, toutes ses joies, je les veux ressentir ;

je veux éperdument me plonger dans l’immense tourbillon de son activité sans relâche; puis, comme elle et avec elle, à la fin, être brisé ! » Vous le voyez, à peine l’âme de Faust a-t-elle perdu l’espoir de pénétrer par la science et par la philosophie jusqu’à l’essence de Dieu, que, intrépide, elle se jette à l’espoir de pénétrer par le sentiment, par l’action, jusqu’à l’essence de l’humanité. Serait-ce là une défaillance, une dépravation de sa noble nature ? Aucunement. C’est une ambition moindre à laquelle il se résigne, après qu’il a reconnu vaine son ambition première. De vulgaires appétits, de lassitude, nulle trace dans les conditions altières de son pacte démoniaque. Nous y sentons toujours le même Faust dont l’âme est « habitée de Dieu. » Nous y sentons notre insatiable Gœthe dans la fougue généreuse, et que l’on disait endiablée, de son ardente jeunesse.

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Pardon si je vous interromps. Vous venez de nous dire que Méphistophélès quittait son apparence de chien; pourquoi ce chien? aurait-il, comme les bêtes de la Comédie, un sens allégorique?

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Dès l’antiquité, le chien est un animal démoniaque. La déesse protectrice des sorciers, Hécate, Luciféra, se plaît à ses aboiements. Elle-même, elle prend souvent la forme d’une chienne. De la sorcellerie païenne, le chien magique passe dans la sorcellerie chrétienne ;

simple men who believe themselves cured by his art, while they are only by nature. The lie of things here below is repugnant to his austere conscience. The impulses of his great soul collide and hurt each other incessantly at the limits of his earthly existence. His homeland is elsewhere. His mind, made in the image of God, would like to enter into commerce with his fellow beings, the divine spirits who preside over the harmony of worlds, and to plunge with them into the ever-living womb of infinite nature. With the familiar formulas of magic, Faust evokes the invisible spirits; he questions them. Their fleeting appearance, their enigmatic answers, consternate him, for he sees that, if he had the power to call them, he could neither retain them nor understand them. That’s when despair seize him, and that, waiting for nothing of life, he addresses himself to death. With a bold hand he seizes the cup of the ancestors: he pours in the liberating drink.

The invocation of Faust, that sacerdotal song of a sacrifice of which he is at once the priest and the victim, reaches the most sublime heights where the soul and the poetry can rise. For Faust, death is not dismal. He sees neither an end, nor a nothingness, nor even a sleep in the grave. The images under which she offers herself to him are all moving. It is the wave that will prevail as Dante “in the great sea of ​​the Etre; It is the chariot of fire that will delight him to the celestial spheres:

Zu neuen Ufern lockt ein neuer Tag,
Ein Feuerwagen schwebt, auf leichten Schwingen,
An mich heran!

Faust’s suicide is even greater than Cato’s suicide; for, by rejecting life, Faust not only protests, like the virtuous Latin, against political slavery in the Roman prison: he protests, conquered in the fight with God, against the slavery of humanity in his earthly prison. .

And yet, how little is needed for Faust to be reborn in hope and for the fatal cup to escape his hand!

A memory, the distant sound of a bell, a church song, remind him of Easter, where once his happy childhood celebrated, with the return of spring, the resurrection of the Savior of men. He is moved by the consolations brought to the earth by the merciful crucified. All the austerity of his thought is softening. A breath of tenderness dispels the black vapors amassed in his brain by solitary science. Just now, it will be simple with the simple, child with children. Followed by his disciple Wagner, he will mingle with the crowd of walkers, whose gay talk, laughter, songs celebrate in their own way the Christian festival. But the spectacle of the external life can not long captivate the soul of Faust. Soon tired of these noisy joys, he sits apart; he contemplates the magnificence of the setting sun; his anxiety is reborn, his thirst for eternal light. He would like to follow the rays of the star that will leave our hemisphere. He envies the eagle with its wing, the lark with its song, the crane through the air, the power of the instinct which guides it. He calls to his aid the genies who hover invisible between the earth and the sky, he adjures them to carry with them in space. That’s when Mephistopheles appears. Under the figure of a dog, he clings to Faust’s footsteps; he follows him on his return to the city; he enters with him in the laboratory. The night has come. – This long exhibition ended, which in the Comedyoccupies only half of a song, the action itself, the temptation goes well. “I suppose, my dear Viviane, that you have not had any difficulty so far in recognizing, under the features of Faust Wolfgang Goethe, at this first period of his youth, when we have seen him, deeply troubled by the uncertainty and discordance of the things of life, throws himself utterly lost to the enthusiasm of death.

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The fiction is transparent, and Dante is no more Dante, it seems to me, than Faust is Goethe.

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A glance at the relationship between Faust and Mephistopheles will make us even more aware of this identity. Far from the fact that Faust’s suicide and his temptation are given to us by Goethe as a sign of decay, he surrounds them with religious solemnity. That’s when Faust’s soul comes from to exalt oneself in the contemplation of a great spectacle of nature is when, absorbed in profound meditation, moved, moved, he seeks with a straight heart “mit redlichem Gefühl,” to put him within reach of all, the true meaning of the Gospels, it is at the hour of recollection and a pious work that Mephistopheles, leaving his appearance as a dog, presents himself to the grave doctor. Likewise, when Faust agrees to let himself be snatched by the devil from his solitary reveries, to throw himself with him to the world, when he goes to sign the pact and proudly dictates the conditions, he shows himself everything. a point superior to that which he calls with disdain “a poor devil,” and the intimate thought of the poet becomes manifest. Faust does not admit for a moment that the spirit of the man can be understood from Mephistopheles and his like. “If you can deceive me with flattery,” he said to her, “so that I please myself, if you can seduce me with pleasure, if I ever enjoy rest in pleasure, whether it be there my last hour and my soul be your prey! But what does he want, what does he expect from the devil, that scornful Faust? He himself will tell us; he will insist, lest they be misunderstood. “You understand me well,” he said to Mephistopheles, Is he waiting for the demon, that scornful Faust? He himself will tell us; he will insist, lest they be misunderstood. “You understand me well,” he said to Mephistopheles, Is he waiting for the demon, that scornful Faust? He himself will tell us; he will insist, lest they be misunderstood. “You understand me well,” he said to Mephistopheles,there is no question of pleasure. My mind, cured of the desire to know, wants to live henceforth from the active life, and as it is made to the whole humanity. I want to embrace all that human destiny encloses with good and evil; all his pains, all his joys, I want them to feel;

I desperately want to immerse myself in the immense whirlpool of his activity without rest; then, as she and with her, in the end, be broken! As you can see, hardly has Faust’s soul lost the hope of penetrating through science and philosophy to the essence of God, that, intrepid, she throws herself to hope to penetrate through feeling, through action, to the essence of humanity. Would this be a failure, a depravity of his noble nature? No. It is a lesser ambition to which he resigns himself, after he has acknowledged his first ambition vain. Vulgar appetites, weariness, no trace in the lofty conditions of his demonic pact. We always feel the same Faust whose soul is “inhabited by God.

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I’m sorry if I interrupt you. You have just told us that Mephistopheles was leaving his dog’s appearance; why this dog? would he, like the animals of the Comedie, have an allegorical meaning?

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From ancient times, the dog is a demonic animal. The protective goddess of the wizards, Hecate, Lucifera, enjoys his barking. She herself often takes the form of a dog. From pagan witchcraft , the magic dog passes into Christian sorcery ;

de la légende d’Apollonius de Tyane, le chien noir passe dans celle d’Agrippa, le nécromancien allemand. Celle-ci nomme le chien du plus ancien Faust, qui n’est autre que le diable en personne, Praestigiar. Gœthe, que nous avons vu très-superstitieux, n’était pas exempt d’une certaine antipathie fort peu rationnelle pour la race canine.

Mais continuons. La supériorité morale de Faust sur Méphistophélès se marque de plus en plus à mesure qu’on avance dans le drame. Quand Méphistophélès, qui a promis à Faust de lui faire faire un cours complet du petit et du grand monde, le mène à la taverne d’Auerbach, rendez-vous de gais compagnons et d’étudiants en goguette, quand il le conduit à la cuisine de la sorcière pour y boire le philtre qui lui rend la jeunesse, Faust n’exprime que répugnance et dégoût. Dans la taverne, il assiste, impassible, aux expansions bruyantes de l’insipide orgie, et n’exprime qu’un désir, celui de quitter de tels lieux. Chez la sorcière, son dégoût est au comble. Mais là, tout à coup, dans un miroir magique, il aperçoit une figure de femme qui attire et captive son regard. Cette femme qui ne ressemble à aucune autre, cette apparition céleste, cette beauté pure dont la seule image, au milieu des laideurs d’une basse sorcellerie, le fait tressaillir d’amour, c’est Marguerite.

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Je vous admire, Diotime. Vous avez le talent de l’Église catholique en son premier génie; vous transformez les démons en saints ou en quasi-saints. Vous venez de nous habiller très-joliment Méphistophélès en Virgile; je suis curieux de voir comment vous allez vous y prendre pour vêtir la petite Gretchen des rayons de Béatrice.

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Si vous voulez, nous dirons auparavant deux mots de l’idée générale que nos deux poétes se faisaient de la femme, de son caractère, de sa vocation, de sa puissance morale; vous comprendrez plus aisément l’analogie que je crois voir entre Marguerite et Béatrice.

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Je suis on ne peut plus curieux, sérieusement curieux, quoi que vous en puissiez croire, de connaître, à cet égard, vos idées.

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Pour Gœthe comme pour Dante, mon cher Marcel, la femme dans ce qu’on pourrait appeler sa double nature, doublement mystérieuse et sacrée, la femme vierge et mère est un être supérieur à l’homme.

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Mais pourquoi ? Elle est visiblement inférieure en force physique; elle est inférieure en génie, car elle n’a jamais rien inventé; et quant à son être moral, il me semble que les récits bibliques ne laissent aucun doute sur son infériorité.

DIOTIME.

· A mes yeux, il n’y a ni supériorité ni infériorité d’un sexe sur l’autre. Les deux sexes ont des dons qui leur sont communs, et chaque sexe a une supériorité qui lui est propre. Mais si je devais traiter à fond ce sujet, il me faudrait vous dicter tout un livre ; cela ne vous amuserait guère, et ce n’est pas ici le lieu. Nous n’avons besoin de savoir en ce moment qu’une seule chose : l’opinion de nos deux poëtes. C’est poétiquement que Dante et Gœthe mettent la femme au-dessus de l’homme. Dante, tout pénétré de l’idéal catholique, tel qu’il s’est dégagé peu à peu des rudesses bibliques et des sévérités qui restent encore dans l’Évangile, a mis dans la prière de saint Bernard, au dernier chant du Paradis, toute la sublimité de son sentiment, tout son idéal de l’amour féminin. Béatrice, dans ses cantiques, semblablement à Marie, est toute beauté, toute grâce, toute miséricorde, toute compassion. Même au sein de la béatitude, elle se trouble à la vue des périls de Dante ; elle est remplie d’angoisses pour son ami; pour « son ami qui n’est point l’ami de la fortune, »

L’amico mio e non della ventura,

dit-elle avec une subtilité charmante et toute féminine. Elle a une hâte, une impatience toute féminine aussi, de

· le voir délivré des ténèbres et des bêtes féroces. Elle

presse Virgile de voler à son secours; au secours de son fidèle, de « celui qui l’aima tant et qui sortit pour elle de la foule du vulgaire. » Ses beaux yeux, « plus brillants que les étoiles, » se voilent de pleurs. Elle veut être consolée,

L’aiuta sl Ch’io ne sia consolata.

ÉLIE.

Est-ce que cette compassion, ces larmes, ce besoin de consolation dans le ciel, sont bien orthodoxes ?

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J’en doute; comme aussi du plaisir qui s’accroît dans les âmes bienheureuses quand elles peuvent satisfaire aux questions de Dante,

Per allegrezza nuova che s’accrebbe,
Quand’io parlai, all’ allegrezze sue.

C’est le sentiment que nous verrons exprimé aussi dans le ciel de Faust quand le Père Séraphique et les jeunes anges s’exaltent dans la joie de voir arriver l’âme pardonnée du pécheur. En plusieurs rencontres déjà nous avons vu que nos poëtes, tout en traitant un sujet tiré de la légende chrétienne, en usaient librement avec l’orthodoxie, et qu’ils avaient, l’un et l’autre, de ces belles inconséquences sans lesquelles la plupart des dogmes seraient inacceptables. La compassion de Béatrice descendue en enfer pour secourir Dante, la joie qu’éprouve son royal ami, Charles Martel, à le revoir au ciel de Vénus, c’est la protestation éternelle du cœur humain qui repousse l’indifférence dogmatique des béatitudes du paradis, aussi bien que la justice implacable des châtiments de l’enfer. — Mais je reprends. Dante ne conçoit son propre salut, comme le salut de l’humanité, que par la médiation de cet amour miséricordieux, désintéressé, de cette grâce par excellence et véritablement divine qui réside au sein de la femme. C’est le rayon des yeux de Béatrice qui l’attire à sa suite dans la droite voie, tant qu’elle demeure ici-bas; c’est après qu’il l’a perdue qu’il se perd luimême. C’est elle qui l’avertit, par des songes et des révélations, des dangers qui le menacent; c’est dans l’espoir de la retrouver, sur l’assurance que lui en donne Virgile, qu’il prend courage et s’avance au travers des flammes d’enfer. C’est par « l’occulte vertu qui d’elle émane, » qu’il peut gravir la montagne purificatrice. Parvenu au seuil de la béatitude, Dante reconnaît humblement « la grâce et la vertu, la puissance et la bonté, la magnificence de la femme aimée, qui l’a conduit de la servitude à la liberté, des choses mortelles aux choses divines, de la perdition au salut.»

Dal tuo podere e dalla tua bontate
Riconosco la grazia e la virtute.
Tu m’hai di servo tratto a libertate
Per tutte quelle vie, per tutt’i modi
Che di cio fare avean la potestate.

C’est le même idéal de la grâce féminine qui inspire à Gœthe, au quatrième acte de Faust, les vers admirables où il décrit l’apparition céleste de Marguerite, ce mystérieux regard, cette forme pure qui s’élève dans
from the legend of Apollonius of Tyana, the black dog passes into that of Agrippa, the German necromancer. It names the dog of the oldest Faust, who is none other than the devil himself, Praestigiar. Goethe, whom we have seen to be very superstitious, was not exempt from a certain antipathy which was not very rational for the canine race.

But let’s continue. The moral superiority of Faust over Mephistopheles is more and more marked as one advances in the drama. When Mephistopheles, who promised Faust a full course in the big and small world, took him to Auerbach’s tavern, a rendez-vous with gay companions and students on a spree, when he drove him to the the kitchen of the witch to drink the potion that makes her youth, Faust expresses only repugnance and disgust. In the tavern he attends, impassive, the noisy expansions of the insipid orgy, and expresses only one desire, that of leaving such places. At the witch’s, her disgust is at its height. But there, suddenly, in a magic mirror, he sees a woman’s figure that attracts and captivates his eyes. This woman who does not look like any other,sorcery, makes it shudder with love, it is Marguerite.

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I admire you, Diotime. You have the talent of the Catholic Church in her first genius; you transform demons into saints or quasi-saints. You have very nicely dressed Mephistopheles in Virgil; I’m curious to see how you are going to dress Little Gretchen with Beatrice’s rays.

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If you wish, we will say beforehand two words of the general idea that our two poets had of the woman, of her character, of her vocation, of her moral power; you will understand more easily the analogy which I think I see between Marguerite and Beatrice.

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I am most curious, seriously curious, whatever you may believe, to know, in this respect, your ideas.

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For Goethe, as for Dante, my dear Marcel, the woman in what might be called her double nature, doubly mysterious and sacred, the virgin and mother woman is a being superior to man.

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But why ? It is visibly inferior in physical strength; she is inferior in genius, for she has never invented anything; and as for its moral being, it seems to me that biblical accounts leave no doubt about its inferiority.

Diotima.

· In my eyes, there is neither superiority nor inferiority of one sex on the other. Both sexes have gifts that are common to them, and each sex has a superiority of its own. But if I had to deal with this subject thoroughly, I would have to dictate a whole book; that would not amuse you, and this is not the place here. We need only know one thing at this moment: the opinion of our two poets. It is poetically that Dante and Goethe put the woman above the man. Dante, all imbued with the Catholic ideal, as he gradually emerged from the biblical harshness and severities that still remain in the Gospel, put in the prayer of St. Bernard, at the last song of Paradise, all the sublimity of his feeling, all his ideal of feminine love. Beatrice in his hymns, like Mary’s, is all beauty, all grace, all mercy, all compassion. Even in bliss, she is troubled by the sight of Dante’s perils; she is filled with anguish for her friend; for “his friend who is not the friend of fortune,”

The amico mio e non della ventura,

she said with a charming and feminine subtlety. She has a haste, a feminine impatience too, to

· See him delivered from darkness and ferocious beasts. She

press Virgil to fly to his aid; to the aid of his faithful, of the one who loved him so much and who went out for her from the crowd of the vulgar. Her beautiful eyes, “brighter than the stars,” are veiled with tears. She wants to be comforted,

The aiuta sl Ch’io did not consolidate.

ELIJAH.

Is this compassion, these tears, this need for consolation in heaven, very orthodox?

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I doubt; as well as the pleasure that grows in happy souls when they can satisfy Dante’s questions,

Per allegrezza nuova che becomes accombbe,
When’io spoke, all ‘allegrezze sue.

This is the feeling we will see expressed also in the sky of Faust when the Séraphic Father and the young angels are exalted in the joy of seeing the forgiven soul of the sinner arrive. In several meetings already we have seen that our poets, while treating a subject taken from the Christian legend, used it freely with orthodoxy, and that they had, both of them, these beautiful inconsistencies without which most dogmas would be unacceptable. Beatrice’s compassion descended to hell to rescue Dante, the joy experienced by her royal friend, Charles Martel, to see him in the sky of Venus, is the eternal protest of the human heart that repels the dogmatic indifference of blessings of paradise, as well as the implacable justice of the punishments of hell. – But I resume. Dante conceives his own salvation, as the salvation of humanity, only by the mediation of this merciful, disinterested love of that par excellence and truly divine grace which resides in the womb. It is the ray of Beatrice’s eyes that draws her after him in the right way, so long as she remains here below; it is after he has lost it that he is lost himself. It is she who warns him, by dreams and revelations, of the dangers which threaten him; it is in the hope of finding her, on the assurance that Virgil gives her, that he takes courage and advances through the flames of hell. It is by “the occult virtue that emanates from it,” that he can climb the purifying mountain. Having reached the threshold of beatitude, Dante humbly acknowledges “grace and virtue, power and goodness, the magnificence of the beloved woman, who led her from bondage to freedom, from mortal things to divine things, from the perdition to salvation. ”

Dal tuo podere e dalla tua bontate
Riconosco the grazia e the virtuoso.
You have me di servo tratto a libertate
Per tutte what life, per tutt’i modi
Che di cio fare avean la potestate.

It is the same ideal of feminine grace which inspires Goethe, in the fourth act of Faust, the admirable verses in which he describes the celestial apparition of Marguerite, that mysterious look, that pure form which rises in

the ether and which attracts to her “the best of her soul. ”

Wie Seelenschönheit steigert sich die holde Form,
Lös’t sich nicht auf, erhebt sich in den Aether hin,
Und zieht das Beste meines Innern mit sich fort.

And this design | Platonist of beauty, of love, Goethe puts it at the end of his poem in the mouth of the Queen of Heaven:

Komm! hebe dich zu höhern Sphären!
Wenn er dich ahnet, folgt er nach.

“Come, go up to higher spheres; if he press you, he will follow you, “said Mater Gloriosa to Marguerite, already transfigured.

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Beatrice is similar in one of her aspects to Marguerite, she symbolizes pure love, as I do; but Beatrice is also, in hymns, wisdom. She never failed, as far as I know; she exposes to Dante the true doctrines; she speaks at least as well as St. Thomas. She resembles the Lady Philosophy, the superb Stoic who consoled Boéce, much more than this ignorant Gretchen who has never learned anything but a little catechism, who lets herself be abused like a poor villager she is, who kills or has killed, without much suspicion, his mother, his brother, his child, and who loses at the end of the tragedy the little common sense, the insignificance that she had at the time.

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At the end of the first part, Marcel; but in the second, when we shall see her appear transfigured, she will be as powerful in her humility as the haughty Beatrice. I do not want to deny, however, that your remark is just a certain way. Margaret, even in heavenly glory, always remains the candid and simple girl who has sinned, who has suffered. Una Paenitentiumis his name. She is neither a Stoic nor a heroine, the poor child, but a sweet Christian. She never knew anything, wanted nothing down here but to love, to love with that deep love of the heart in which the senses have only an unconscious part; and that is why she remained pure, innocent even in crime, and that is why, when the soul of Faust is still dazzled with celestial splendors, she is called to initiate him to the brightness of the new day.

Vergönne mir ihn zu belehren,
Noch blendet ihn der neue Tag.

MARCEL.

I confess that I find this ideal all Christian

rather strange and very little in agreement with what was so pagan in Goethe’s genius.

DIO TIM E.

Do not worry, Marcel. The pagan ideal will not lose its rights in the Germanic poem. To introduce him, Goethe will split his type of woman. Of even as he represented the virile nature under two faces in the figure of Faust and Mephistopheles, so he will show his Eternal Feminine, under his double antique and modern aspect, in the person of Helen and Marguerite. The legend authorized him as Dante to this introduction of the pagan element in his Christian action. But do not anticipate too much on the march of the drama. We are still at the moment only at the appearance of the image of Marguerite in the mirror of the witch. The love which lights up at his sight in the soul of Faust, and which will form the knot of tragedy, has been celebrated at home by all the arts; he obtained grace in France for the philosophy of the poem. Let’s briefly recall its character and development. When Faust is led by Mephistopheles in the modest retreat of the absent girl, at the sight of this asylum where days of innocence pass by, in this “sanctuary,” it is the expression that Goethe can not find. too high, Faust is seized with respect. The presence of Mephistopheles, in such a place, the important; he dismisses him; remained alone, he opens his soul to the ineffable sweetness of this atmosphere of peace. He contemplates the venerable chair of the grandmother; with a trembling hand he raises the curtains of the virgin bed; he shudders at the thought that he might want to seduce so much candor. Mephistopheles came suddenly to warn that Marguerite is here to go: “Let’s go, let’s go,” he said, moving away in haste, “never, never will I come back!” ” The days of innocence are unknown, and in this “sanctuary,” Goethe’s expression is not too high, and Faust is seized with respect. The presence of Mephistopheles, in such a place, the important; he dismisses him; remained alone, he opens his soul to the ineffable sweetness of this atmosphere of peace. He contemplates the venerable chair of the grandmother; with a trembling hand he raises the curtains of the virgin bed; he shudders at the thought that he might want to seduce so much candor. Mephistopheles came suddenly to warn that Marguerite is here to go: “Let’s go, let’s go,” he said, moving away in haste, “never, never will I come back!” ” The days of innocence are unknown, and in this “sanctuary,” Goethe’s expression is not too high, and Faust is seized with respect. The presence of Mephistopheles, in such a place, the important; he dismisses him; remained alone, he opens his soul to the ineffable sweetness of this atmosphere of peace. He contemplates the venerable chair of the grandmother; with a trembling hand he raises the curtains of the virgin bed; he shudders at the thought that he might want to seduce so much candor. Mephistopheles came suddenly to warn that Marguerite is here to go: “Let’s go, let’s go,” he said, moving away in haste, “never, never will I come back!” ” The presence of Mephistopheles, in such a place, the important; he dismisses him; remained alone, he opens his soul to the ineffable sweetness of this atmosphere of peace. He contemplates the venerable chair of the grandmother; with a trembling hand he raises the curtains of the virgin bed; he shudders at the thought that he might want to seduce so much candor. Mephistopheles came suddenly to warn that Marguerite is here to go: “Let’s go, let’s go,” he said, moving away in haste, “never, never will I come back!” ” The presence of Mephistopheles, in such a place, the important; he dismisses him; remained alone, he opens his soul to the ineffable sweetness of this atmosphere of peace. He contemplates the venerable chair of the grandmother; with a trembling hand he raises the curtains of the virgin bed; he shudders at the thought that he might want to seduce so much candor. Mephistopheles came suddenly to warn that Marguerite is here to go: “Let’s go, let’s go,” he said, moving away in haste, “never, never will I come back!” ” he shudders at the thought that he might want to seduce so much candor. Mephistopheles came suddenly to warn that Marguerite is here to go: “Let’s go, let’s go,” he said, moving away in haste, “never, never will I come back!” ” he shudders at the thought that he might want to seduce so much candor. Mephistopheles came suddenly to warn that Marguerite is here to go: “Let’s go, let’s go,” he said, moving away in haste, “never, never will I come back!” ”

In the walk in the garden, arranged by Mephistopheles who pursues her plan of seduction, Faust’s words to Marguerite are still marked by a deep respect. He admires from the best of his heart, as the most beautiful gift of nature, the simplicity of the girl; the love she inspires him, he feels “inexpressible, divine, eternal. The end of such love, he exclaimed exalted, would be despair! No ; end point! end point!

What do you say, Elijah? Is this the skeptic, the libertine, the indifferent poet whom French criticism has discovered in Goethe, and who can not be compared to Dante?

l’éther et qui attire à elle « le meilleur de son âme. »

Wie Seelenschönheit steigert sich die holde Form,
Lös’t sich nicht auf, erhebt sich in den Aether hin,
Und zieht das Beste meines Innern mit sich fort.

Et cette conception | platonicienne de la beauté, de l’amour, Gœthe la met à la fin de son poême dans la bouche de la Reine du ciel :

Komm ! hebe dich zu höhern Sphären !
Wenn er dich ahnet, folgt er nach.

« Viens, élève-toi vers des sphères supérieures ; s’il te pressent, il te suivra, » dit la Mater Gloriosa à Marguerite déjà transfigurée.

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Béatrice est semblable par un de ses aspects à Marguerite, elle symbolise comme elle l’amour pur, je le veux bien ; mais Béatrice est aussi, dans les cantiques, la sagesse. Elle n’a jamais failli, que je sache; elle expose à Dante les vraies doctrines ; elle parle pour le moins aussi bien que saint Thomas. Elle ressemble à la Dame Philosophie, à la superbe stoïcienne qui consolait Boéce, beaucoup plus qu’à cette ignorante Gretchen qui n’a jamais rien appris qu’un peu de catéchisme, qui se laisse abuser comme une pauvre villageoise qu’elle est, qui tue ou fait tuer, sans trop s’en douter, sa mère, son frère, son enfant, et qui perd à la fin de la tragédie le peu de bon sens, le peu d’esprit qu’elle avait au COmmencement.

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A la fin de la première partie, Marcel; mais dans la seconde, où nous la verrons reparaître transfigurée, elle sera aussi puissante dans son humilité que l’altière Béatrice. Je ne veux pas nier cependant que votre remarque ne soit juste en une certaine manière. Marguerite, même dans la gloire céleste, reste toujours la candide et simple jeune fille qui a péché, qui a souffert. Una Paenitentium est son nom. Elle n’est ni une stoïcienne ni une héroïne, la pauvre enfant, mais une douce chrétienne. Elle n’a jamais rien su, rien voulu ici-bas qu’aimer, aimer de ce profond amour du cœur où les sens n’ont qu’une part inconsciente ; et c’est pourquoi elle est demeurée pure, innocente jusque dans lc crime, et c’est pourquoi, lorsque l’âme de Faust est tout éblouie encore des splendeurs célestes, elle est appelée à l’initier aux clartés du jour nouveau.

Vergönne mir ihn zu belehren,
Noch blendet ihn der neue Tag.

M A R C E L .

Je vous avoue que je trouve cet idéal tout chrétien

assez étrange et fort peu d’accord avec ce qu’il y avait de si païen dans le génie de Gœthe.

DIO TIM E.

Rassurez-vous, Marcel. L’idéal païen ne perdra pas ses droits dans le poéme germanique. Pour l’y introduire, Gœthe va dédoubler son type de femme. De même qu’il a représenté la nature virile sous deux faces dans la figure de Faust et de Méphistophélès, ainsi il montrera son Éternel-Féminin, sous son double aspect antique et moderne, dans la personne d’Hélène et de Marguerite. La légende l’autorisait comme Dante à cette introduction de l’élément païen dans son action chrétienne. Mais n’anticipons pas trop sur la marche du drame. Nous n’en sommes encore pour le moment qu’à l’apparition de l’image de Marguerite dans le miroir de la sorcière. L’amour qui s’allume à sa vue dans l’âme de Faust et qui va former le nœud de la tragédie, a été célébré chez nous par tous les arts; il a obtenu grâce en France pour la philosophie du poéme. Rappelons brièvement son caractère et son développement. Lorsque Faust est conduit par Méphistophélès dans le modeste réduit de la jeune fille absente, à la vue de cet asile où s’écoulent ignorés des jours d’innocence, dans ce « sanctuaire, » c’est l’expression que Gœthe ne trouve pas trop haute, Faust est saisi de respect. La présence de Méphistophélès, dans un tel lieu, l’impor, tune; il le congédie ; resté seul, il ouvre son âme à l’ineffable suavité de cette atmosphère de paix. Il contemple le fauteuil vénérable de l’aïeule ; d’une main tremblante, il soulève les rideaux du lit virginal; il frémit à la pensée qu’il pourrait vouloir séduire tant de candeur. A Méphistophélès survenu brusquement pour l’avertir que Marguerite est là qui va rentrer : « Partons, partons, dit-il en s’éloignant avec précipitation, jamais, non jamais je ne reviendrai! »

Dans la promenade au jardin, ménagée par Méphistophélès qui poursuit son plan de séduction, les paroles de Faust à Marguerite sont empreintes encore d’un respect profond. ll admire du meilleur de son cœur, comme le plus beau don de la nature, la simplicité de la jeune fille; l’amour qu’elle lui inspire, il le sent « inexprimable, divin, éternel. » La fin d’un tel amour, s’écrie-t-il exalté, ce serait le désespoir ! Non ; point de fin ! point de fin !

Qu’en dites-vous, Élie? Est-ce bien là le sceptique, le libertin, le poête indifférent que la critique française a découvert en Gœthe, et qu’il n’est pas permis de comparer à Dante ?

ÉLIE.

J’ai bien peur que vous n’arrangiez un peu tout cela à votre belle façon imaginative.

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Aucunement, je vous jure. Et ce que j’essaye de vous rendre dans ma prose sans génie, il n’est besoin de vous le dire, n’approche ni de près ni de loin des élans passionnés de la poésie de Gœthe.

Le monologue de Faust sur les cimes alpestres où il a fui le tentateur, est d’une poésie plus profonde encore que le monologue si cèlèbre du commencement. Arraché par un effort de sa volonté à l’entrainement des sens, l’âme de Faust a repris l’empire d’elle-même. Au souffle pur des hautes solitudes, elle se rouvre au sentiment de la vie universelle. Mais le démon ne le

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laisse pas longtemps à ses contemplations. Il accourt vers lui; il raille sa vie d’anachorète. Par des images licencieuses, il essaye de réveiller en lui les appétits charnels. Puis, voyant que les suggestions des sens ne troublent plus la sérénité de Faust, il s’adresse à son cœur; il lui peint les tristesses de Marguerite, l’amour qui la consume, le regret qui la ronge dans le cruel abandon de celui qu’elle ne saurait plus oublier. Faust s’émeut. Ce cœur si fort ne saurait supporter la pensée des douleurs qu’il a causées. Il se défend encore contre Méphistophélès, mais sa défense faiblit. Il commande · au tentateur de s’éloigner, mais sa voix tremble. Avec la pitié, la passion est rentrée dans son cœur. Toutes les péripéties, toutes les émotions de cette passion terrible qui entraînent l’innocence de Marguerite à la faute, au crime, à la plus épouvantable catastrophe, vous sont trop présentes pour que nous nous y arrêtions, malgré leur beauté. Je voudrais seulement vous rendre attentifs à l’idée morale qui en ressort.

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